Exclusion du droit à réparation de la victime et faute inexcusable

En ne retenant pas la faute inexcusable de la victime d’un accident de la circulation, qui excluait pour elle tout droit à réparation, un arrêt récent (arrêt du 2 juillet 2015 — Cass. Civ 2e) démontre à quel point il est important que les victimes se battent pour faire reconnaître leurs droits face aux compagnies d’assurances. Il a fallu que la victime aille jusqu’en cassation, pour obtenir la reconnaissance de son droit à réparation, conformément à la loi et à la jurisprudence.

Les faits : un jeune homme confie le volant de sa voiture à un ami qui n’est pas titulaire du permis de conduire et a consommé des stupéfiants et de l’alcool (1,61 g par litre dans le sang). Un accident survient en raison d’une vitesse excessive. Le conducteur décède, le passager arrière est blessé. La compagnie d’assurance du véhicule refuse la mise en œuvre de sa garantie. Le blessé assigne la compagnie d’assurance.

La cour d’appel donne raison à la compagnie d’assurance en estimant que le blessé avait commis une faute inexcusable en confiant le volant à son ami, que cette faute est la cause exclusive de l’accident et entraîne l’exclusion du droit à réparation du demandeur. La Cour de cassation a heureusement remis de l’ordre, et cassé cet arrêt au motif que « la faute de la victime n’avait pas été la cause exclusive de l’accident ».

Il faut ici souligner que l’article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, dispose que « Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident ». La faute inexcusable de la victime a été définie en jurisprudence : c’est la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant, sans raison valable, son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

Or dans cette affaire, l’accident a été causé par le conducteur qui a circulé, sans permis de conduire, à une vitesse excessive, en étant « sous l’effet de substances stupéfiantes » et « sous l’empire d’un état alcoolique ». Même si la victime lui a laissé le volant en toute connaissance de cause, cette faute n’est pas la « cause exclusive » de l’accident au sens de la loi du 5 juillet 1985

Voici deux décisions rendues cette année estimant au contraire que la victime avait commis une faute inexcusable :

1re décision : « Caractérise une telle faute le fait de déambuler, en titubant, de nuit, manifestement sous l’empire d’un état alcoolique et de stupéfiants, au milieu d’une rocade, chaussée à grande circulation, dépourvue d’éclairage public en refusant en outre de se ranger sur le bord malgré les signaux sonores émis par différents automobilistes. Ces éléments démontrent que le piéton ne pouvait qu’avoir conscience de sa position extrêmement dangereuse ». (Cour d’appel de Montpellier 6 janvier 2015 re ch., sect. D, 6 janv. 2015, no 13/03532, Consorts M. c/ M. D. et a., M. Mallet, prés., Mme Vier, cons., Mme Leclerc-Petit, vice-prés. ; Mes Joly et Guillemain, av.).

2d décision : « M. Pascal X… avait déjà cherché quelques instants avant l’accident, de manière réitérée, à quitter la fourgonnette pilotée par M. Pascal Y… sous le prétexte de reproches qui lui étaient adressés contraignant par deux fois celui-ci à un freinage énergique ; qu’à la suite du second arrêt de ce véhicule sur le bas-côté, M. Pascal X… en est sorti d’un bond pour se jeter sur la voiture qui les suivait et qui circulait feux allumés à la vitesse maximale autorisée ; que l’accident a eu lieu sur une portion de route dépourvue d’éclairage public, hors agglomération, de nuit, en sortie de courbe, ce qui a rendu inévitable la collision ; que les faits se sont déroulés en l’espace de quelques secondes ; que M. Pascal X… présentait au moment de l’accident un taux d’alcoolémie de 1,47 gramme par litre de sang qui, pour conséquent qu’il soit, n’a pas été de nature à avoir aboli son discernement ; que rien n’accrédite la thèse d’un acte suicidaire malgré la dangerosité du comportement de l’intéressé qui reste inexpliqué ; que ce dernier s’est volontairement exposé, sans raison valable, à un danger d’une exceptionnelle gravité dont il aurait dû avoir conscience ; qu’en se plaçant sur la chaussée dans de telles conditions, rendant sa présence totalement imprévisible et irrésistible pour la conductrice du véhicule qui l’a percuté, son comportement a été la cause exclusive de l’accident ». (Cour de cassation, Chambre civile 2e, 19 novembre 2015, n° pourvoir 14 -24 465, non publié).