Procès à Paris de la lésion cérébrale acquise

Ce 28 janvier 2016, au Conseil économique, social et environnemental à Paris, j’ai assisté à la restitution du travail de recherche-action intitulé « Avancée en âge et lésion cérébrale acquise ». Ce travail a été restitué dans un rapport de plus de cent pages, intitulé « “Longtemps après l’accident”. Poids des ans et devenir des personnes avec lésion cérébrale acquise et leurs aidants familiaux », en accès libre. Cette étude était commanditée par le groupe de protection sociale Humanis avec le soutien de plusieurs Associations des familles de traumatisés crâniens (AFTC) et la collaboration des Centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptée (CREAI) d’Aquitaine et d’Alsace.

La restitution de cette recherche a pris la forme originale d’un procès factice avec, dans le box des accusés, la lésion cérébrale acquise (LCA). Cette lésion est « de manière générique une destruction plus ou moins étendue du tissu nerveux cérébral entraînant un déficit dans la perception, la cognition, la sensibilité ou la motricité en fonction du rôle que jouait la région atteinte dans l’architecture neurocognitive » (rapport, p. 7). Elle touche de nombreuses personnes et ces personnes en situation de handicap ne doivent pas être laissées de côté. Le président du tribunal, Pascal Paris (de la direction de l’Action sociale, ingénierie et entrepreneuriat social du groupe Humanis) a rappelé que chaque année en France 155 000 personnes entre 15 et 30 ans sont victimes de traumatisme crânien. Parmi elles, 8 500 restent dépendantes et 10 % de ces 8 500 demeurent en état végétatif chronique ou pauci-relationnel. À ce contingent de victimes s’ajoutent chaque année les 150 000 personnes atteintes d’AVC. En 20 ans, le nombre de personnes de moins de 55 ans atteintes d’un AVC a augmenté de 25 %.

Pour alimenter le dossier d’accusation, les experts entendus étaient Pascale Pradat-Diehl (chef du service de médecine physique et réadaptation à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière) et Jean-Yves Barreyre (sociologue et directeur scientifique de cette recherche-action).

La première intervention à la barre, celle du professeur Pascale Pradat-Diehl, a permis d’éclairer les enjeux médicaux liés à ce type de lésion. Les cérébro-lésés vieillissent plus précocement. Les signes de ce vieillissement sont multiples : une fatigue totale, de la lassitude permanente, des troubles du comportement, des conduites addictives, des effets secondaires dus aux traitements psychotropes et une dégradation physique importante, soudaine. Les personnes cérébro-lésées « mobilisent au maximum leurs capacités jusqu’à l’épuisement » et les aggravations secondaires surviennent au bout de dix ans de lésion cérébrale acquise. Elles sont aussi dans « l’incapacité à penser le futur », car il leur est « déjà difficile de gérer le présent ». Elles doivent faire face à cette double équation : accepter que l’être qu’elles étaient avant ne soit plus là et que l’être qu’elles vont devenir soit différent de celui qu’elles imaginaient.
S’agissant du suivi médical, une partie des médecins manquent de formation : ils ne sont ni sensibilisés ni spécialisés dans le traumatisme crânien. Ce déficit entraîne un nomadisme médical chez les patients et des orientations inadaptées, par exemple vers un long séjour gériatrique.

En tant qu’expert sociologue, Jean-Yves Barreyre a souligné que la recherche avait mis en exergue une souffrance et un épuisement des proches. Ainsi, l’arrivée d’une lésion cérébrale acquise est une « déflagration pour tous ». De fait, les aidants familiaux sont usés par un combat permanent et sont souvent trop seuls.

Sur le banc des parties civiles, Jean Ruch (président de l’AFTC Alsace) et Jean-François Philouze (délégué général de l’AFTC Ile-de-France Paris) ont souligné la nécessité de savoir « repérer les signes du vieillissement et de l’usure situationnelle ». Pour eux, il faut construire avec les aidants des espaces de transition, ouvrir des accueils de jour dans les EPHAD et mettre en place des logements accompagnés, pour un environnement proche et sécurisant. L’univers du travail doit aussi être exploré. En effet, la lésion cérébrale acquise engendre des difficultés au travail en raison des troubles du comportement et de la mémoire, du manque de régularité, de la fatigabilité, du besoin d’aide continue et surtout de l’illusion sur les capacités résiduelles, de la personne cérébro-lésée. Dans le box des accusés, la lésion cérébrale acquise a réagi avec véhémence pour ne pas être accusée de tous les maux. Elle soulignera, afin de clôturer les débats, qu’il faut « adapter le travail au travailleur handicapé et non l’inverse ».

Cette mise en scène a permis de rappeler, dans un haut lieu de la république, que le traumatisme crânien, ce handicap invisible, « grève l’avenir des victimes et de leur famille ». Après avoir assisté à cet événement, je suis encore plus convaincue qu’il est primordial pour l’avocat de victimes cérébro-lésées d’évoquer le vieillissement prématuré de ces victimes, dans le processus d’indemnisation.