Un cas récemment tranché par la Cour de cassation nous permet d’éclairer les situations d’accident médical où la responsabilité du médecin n’est pas en engagée et où l’indemnisation par un fonds public ne peut être effective que si les conséquences sont jugées anormales. Autrement dit, on le verra, lorsque ces conséquences ont une faible probabilité de survenir.
En 2019, la Cour de cassation s’est penchée sur une situation impliquant un accouchement par voie basse sans manœuvre obstétricale, c’est-à-dire un acte naturel et non un acte de soins. La jurisprudence n’exclut pas par principe ce type d’accouchement du champ d’application de la réparation des accidents médicaux (fautifs ou non) et elle identifie au cas par cas les actes de prévention, de diagnostic ou de soin réalisés. Au cours de cet accouchement, le fœtus, présentant une dystocie des épaules (complication rare et grave de l’accouchement, les épaules restant coincées dans le bassin de la mère), obligeait le gynécologue à effectuer une manœuvre d’urgence par traction sur la tête fœtale et sur les racines du plexus brachial (regroupement de nerfs localisé de l’arrière du cou jusqu’à l’aisselle, innervant le bras). À la suite de cette intervention, l’enfant souffrait d’une « paralysie du plexus brachial droit » (arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 19 juin 2019 n° 18-20.883). Par la suite, une expertise mettait « en évidence l’absence de faute du praticien et l’inexistence d’un dysfonctionnement de l’établissement de santé ».
Afin d’être indemnisée, la mère de l’enfant a assigné l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Toutefois, l’ONIAM a contesté le raisonnement de la cour d’appel accordant l’indemnisation. Contrairement aux juges de la cour d’appel, il estimait d’abord qu’il fallait examiner la probabilité que les manœuvres obstétricales entraînent une lésion du plexus brachial chez un nourrisson (évaluée entre 10 à 25 %) et non la probabilité que la lésion entraîne des séquelles. Il considérait ensuite que le surpoids de la mère avait peut-être rendu plus difficiles les manœuvres obstétricales et augmenté le risque de survenue de la lésion.
Ces arguments n’ont pas convaincu la Cour de cassation qui a décidé que : « Si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique ». Elle a approuvé le raisonnement de la cour d’appel qui a estimé que l’enfant ne présentait pas, au cours de sa vie intra-utérine et lors de sa naissance, d’anomalies qui auraient pu interférer sur la paralysie obstétricale et sur le déroulement de l’accouchement. De plus, l’arrêt de la cour d’appel retenait aussi que, la dystocie des épaules étant une complication à risque majeur pour l’enfant (telle la lésion du plexus brachial) et les manœuvres du praticien ayant engendré une paralysie du plexus brachial, les préjudices subis par l’enfant étaient directement imputables à un acte de soins.
« Il résulte de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique que, lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme […] n’est pas engagée, l’ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu’ils présentent un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état ; que, lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ».
La condition d’anormalité du dommage prévue par les textes doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement. Or, si l’élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules, les séquelles permanentes de paralysie sont beaucoup plus rares, entre 1 % et 2,5 % de ces cas, de sorte que la survenance du dommage présentait une faible probabilité. L’anormalité du dommage était donc caractérisée. Par suite, l’ONIAM était tenu à indemnisation au titre de la solidarité nationale, proportionnellement à la gravité du dommage[1].
[1] La gravité du dommage s’apprécie en principe au regard notamment de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (AIPP supérieure à 24 %), de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.