Par un arrêt du 29 mars 2018, la Cour de cassation vient d’élargir très significativement la notion de préjudice d’agrément, jusque-là définie de manière restrictive par la nomenclature des postes de préjudice et la jurisprudence. Dans la nomenclature Dintilhac (datant de juillet 2005), ce préjudice « est lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » et apprécié « en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.) » (p. 39 du rapport). Il s’agit donc d’une altération définitive de la capacité d’exercer une ou plusieurs activités de loisirs. Le terme « spécifique » est important : la victime ne peut arguer d’une perte de qualité de vie générale en sollicitant l’indemnisation de ce poste de préjudice.
Au fil des décisions, la jurisprudence a également donné une définition stricte de ce poste de préjudice, indiquant qu’il appartient à la victime de rapporter la preuve de la pratique de loisirs avant l’accident pour en obtenir une indemnisation. Récemment encore, la Cour de cassation refusait de reconnaître un tel préjudice au motif que le plaignant « ne justifiait pas d’activités particulières exercées régulièrement avant l’accident » (Cass. Civ 2e, 27 avril 2017 n° 16-13.740). La notion de spécificité du loisir antérieur relève tout de même de l’appréciation – subjective – des juges du fond et peut donc varier d’une juridiction à l’autre.
Par son arrêt de mars 2018, la Cour de cassation assouplit son point de vue et reconnaît le préjudice d’agrément même en cas de simple limitation d’une pratique de loisirs. Dans cette affaire, la victime est un skipper, grand sportif et amateur de sports nautiques. Après son agression, il ne peut plus prétendre aux mêmes résultats sportifs lors des compétitions et est « stoppé dans sa progression ». Il saisit la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI). Il obtient 1 000 € au titre de son préjudice d’agrément. La cour d’appel de Fort-de-France confirme l’indemnisation de ce poste de préjudice au motif que la victime rapporte bien la preuve d’un changement de pratique de la compétition. Le Fonds de Garantie se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation rejette ce pourvoi. Elle considère en effet que « le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » et que « ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure » et relève que l’état physique n’autorise la victime qu’à pratiquer ses activités sportives « de façon modérée » et que « les conditions dans lesquelles [la victime] continuait à s’y livrer obéissaient désormais à un but essentiellement thérapeutique ». La victime n’était pas dans l’impossibilité de pratiquer son sport antérieur, mais juste limitée dans la manière de s’y adonner. Le pourvoi en cassation du Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions a ainsi permis cette extension remarquable de la notion de préjudice d’agrément.